De Stung Treng au Laos (sans pot-de-vin)
Pour notre dernière soirée cambodgienne, on récapitule le programme qui nous attend : stop jusqu’à la frontière, coup de tampon de sortie du Cambodge sur le passeport, 30$ chacun pour le visa laotien, stop jusqu’à Nakasong et bateau jusqu’aux 4 000 îles. Tout cela paraît bien fluide sur le papier mais l’expérience nous a appris que rien ne se passe comme prévu en voyage.
 
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1ère étape : le stop depuis Stung Treng
Pour rejoindre Nakasong (Laos) depuis Stung Treng (Cambodge), il existe des bus ou des minivans qui vous amènent jusqu’au poste de frontière, vous laissent remplir les formalités de sortie et d’entrée de territoire et vous récupèrent ensuite de l’autre côté afin de vous acheminer vers le port de Nakasong.
On vous explique rapidement pourquoi nous n’avons pas choisi la solution de facilité. En bus ou en minivan, vous avez le choix entre deux formules :
➤ la formule « all inclusive » : vous payez pour le trajet complet et le visa d’entrée au Laos. Le bus s’arrête au poste de frontière, vous confiez votre passeport à la personne de l’agence et vous repartez direction Nakasong en peu de temps (et encore) ;
➤ la formule « demi-pension » : vous ne payez que le trajet complet mais vous vous occupez seul des formalités de sortie et d’entrée.
Ce qu’on ne vous dit pas, c’est qu’en choisissant l’un ou l’autre des services, vous participez d’une façon ou d’une autre à la corruption.
En effet, dans la formule « all inclusive », une partie de la somme payée ira directement dans la poche du douanier au moment d’obtenir le visa.
Pour la « demi-pension », la tromperie est beaucoup plus habile. Lorsque vous arrivez au poste de frontière, le douanier vous demandera de débourser 30$ + 1$ (ou 2$) supplémentaire(s) pour une raison totalement bidon ! (photo non conforme, taxe « weekend », heure tardive, …). Vous pourrez refuser invoquant certains principes mais la personne de l’agence qui vous accompagne simulera un appel de votre chauffeur et vous mettra la pression en vous disant qu’il ne vous reste que peu de temps pour les démarches car le bus va repartir. Et faire attendre tous les autres passagers pour 1 ou 2$, c’est pas forcément bien vu.
MAIS, en arrivant à la frontière seul ou avec son véhicule, on reste maître de la situation ! Cela peut sembler bien compliqué ou être une perte de temps pour seulement 1 ou 2$ mais comment peut-on affirmer avoir des principes dans ce cas-là ?
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La pancarte est prête, place à l’aventure ! On marche de l’hôtel jusqu’à la seule route qui conduit au Laos et on se positionne à la sortie de la Stung Treng Gas Station. De nombreux véhicules nous passent devant, bien souvent avec des places libres mais les passagers se contentent de sourire ou de nous faire coucou en nous voyant.
Les seuls qui s’arrêtent à notre hauteur le font pour nous proposer de nous conduire à la frontière en échange de 15$. Nous refusons catégoriquement
les premières offres mais après 1h de stop sous le soleil, on envisage d’accepter la prochaine. Contre toute attente, un convoi de deux voitures stoppe sa course et nous propose de nous emmener à destination gratuitement… Victoire !
Un peu de tourisme dans la province de Stoeng Treng
Fiers d’avoir réussi notre pari du stop, nous faisons rapidement connaissance avec nos sauveurs du jour. Nous apprenons qu’ils travaillent pour le Ministère du Tourisme du Cambodge. Avant de nous déposer, ils nous disent qu’ils doivent prendre quelques photos et vidéos dans le but de promouvoir le tourisme à Stung Treng. Effectivement, on remarque qu’ils emportent avec eux du matériel de professionnel.
Premier arrêt : plantation de bananes
On visite dans un premier temps une gigantesque plantation de bananes après avoir longé pendant de longues minutes celles de manioc. Sur place, on rencontre le chef de la plantation qui nous présente de près le processus de nettoyage, séchage et de conditionnement des bananes. Les cartons de bananes encore vertes sont exportés vers la Chine principalement.
Pendant les explications, les cameramans ne ratent pas de prendre des photos des officiels du Ministère et… de nous : On comprend alors que notre présence est aussi une aubaine pour eux.
Après cette courte visite, c’est l’heure de la pause déjeuner. Nous nous arrêtons dans une sorte de restaurant où les cuisinières nous demandent ce que l’on souhaite manger. Du riz, des fruits, des légumes… il y a tout pour nous faire plaisir. À table, on parle des coutumes de nos pays respectifs. On passe un moment très agréable.
Le repas que nous partageons tous ensemble semble être offert car personne ne paie à l’arrivée.
Deuxième arrêt : les bords du Mékong
Le second stop est au bord de l’eau, sur un terrain non aménagé. Celui qui semble être le chef de notre groupe nous décrit les projets touristiques à venir : en gros, réaliser des hébergements et proposer des activités similaires à ce qu’on peut trouver aux 4 000 îles au Laos, à seulement quelques kilomètres de là.
Pour nous, le décor nous rappelle Kratie mais on nous explique qu’il est identique aux 4 000 îles. Vu sous cet angle, on comprend pourquoi le Cambodge veut faire de cet endroit le nouveau spot touristique, Stung Treng n’étant aujourd’hui qu’une étape de passage pour les voyageurs se rendant aux 4 000 îles au Laos.
Ce qu’on apprécie, c’est que notre avis de touriste est sollicité. Nous leur conseillons d’appuyer sur les spécificités du Cambodge par rapport au Laos afin d’éviter le copier/coller de ce qu’il y a plus au nord chez leurs voisins. On espère que notre avis sera pris en compte pour la suite.
Évidemment, nous sommes photographiés pendant toute la discussion avec le directeur du Département du Tourisme de Stung Treng. Peut-être avons-nous fini dans le journal local !?
Nous arrivons à la frontière et c’est l’heure des adieux. Notre sentiment est mitigé concernant notre seule expérience du stop au Cambodge. D’un côté, nous avons vécu une matinée au-delà de nos espérances car nous avons eu droit à des visites et un déjeuner offerts en plus du trajet. D’un autre côté, nous relativisons car ce débordement de générosité vient du Ministère du Tourisme du Cambodge et non de ses habitants…
Quoi qu’il en soit, c’est sur cette dernière bonne note que s’achève notre séjour au Cambodge. Enfin pas tout à fait, il nous reste un dernier passage obligatoire et pas des moindres : le passage de la frontière.
2ème étape : le franchissement de la frontière
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Première remarque, la frontière est déserte : pas un touriste en vue ! On avance donc à petits pas ne sachant trop vers quoi se diriger. La réputation du lieu ne nous met pas non plus spécialement à l’aise.
Après le passage de la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge à Poipet, nous savons désormais que l’obstacle est double : d’abord obtenir le tampon de sortie de territoire, puis obtenir celui d’entrée sur le nouveau territoire.
Tampon de sortie du Cambodge
Un douanier cambodgien nous fait signe de venir vers lui. Trop habitués des arnaques du pays, on hésite à le rejoindre mais celui-ci enfourche sa moto et vient à nous voyant que nous ne détournons pas le regard. Bon, pas trop le choix maintenant. On entre à l’intérieur du bâtiment.
La première bataille psychologique commence maintenant. On a imaginé trop de fois le pire scénario dans notre tête pour être surpris de quoi que ce soit.
Un des deux douaniers nous demandent nos passeports, ce à quoi on s’exécute. Il nous les redonne 5 minutes plus tard, le tampon à l’intérieur. Nous qui nous attendions à débourser quelques dollars pour l’avoir… est-ce donc si facile que cela ? (oui, nous sommes surpris)
Tampon d’entrée au Laos
La première « bataille » n’a pas eu lieu et tant mieux. On économise du temps, de l’énergie mentale et surtout… de l’argent ! Car hors de question pour nous de participer à une quelconque corruption.
C’est confiants que nous arrivons au poste de frontière laotien où des touristes français sont présents. Il suffit de quelques minutes pour comprendre que la bataille psychologique a déjà commencé pour eux et qu’ils sont sur le point de la perdre : ils se sont tous mis en colère. Le père de famille nous raconte ce que nous savons malheureusement déjà, à savoir que le douanier leur a demandé 1$ supplémentaire chacun pour le visa. Le motif (ou plutôt le prétexte) : nous ne sommes pas dans les bonnes heures.
Visiblement, ils ont opté pour la formule « demi-pension » car un cambodgien leur indique que leur véhicule doit partir incessamment sous peu. On observe calmement la fin de la scène : une engueulade entre le père et le fils sur fond de principes balayés et un furtif doigt d’honneur en direction du douanier laotien qui provoque la furie de la mère de famille. Nous n’avons pas le temps de discuter de tout cela car c’est maintenant notre tour.
On donne les formulaires, les passeports et les 2 x 30$ pour les visas. Immédiatement, le douanier nous en demande 2 de plus. Pour nous, c’est parce que nous sommes samedi et qu’il y a une « taxe weekend ». Cosy feint l’incompréhension mais le douanier laisse nos papiers sur le rebord du comptoir, ferme la vitre et se met à regarder des vidéos sur son téléphone. Au moins c’est clair, la patience sera la clé de la victoire.
À tour de rôle, nous retentons plusieurs fois notre chance. Cosy essaie de jouer la carte de l’humour mais le douanier se montre impassible. Entre nos différentes tentatives, quelques groupes de touristes ont droit au même discours et se résolvent à payer les pourboires après s’être plus ou moins mis en colère. C’est évident que si tout le monde accepte de donner sans résister, les douaniers ne changeront jamais leur manière de procéder. Bref, on se dit que ça va être encore long pour nous.
Après un énième essai toujours dans le plus grand des calmes, nous décidons de passer à l’offensive : on fait mine de s’installer, Cheap sort son livre, Cosy son cahier.
Alors qu’il n’y a plus d’autres touristes, le douanier nous fait signe de venir au comptoir. Il prend nos papiers sans dire un mot et s’en va dans une autre pièce. On comprend qu’on est sur le point de gagner.
On nous appelle au comptoir suivant. Les visas ont l’air d’être collés sur nos passeports mais un second douanier nous prie de payer 2$ chacun pour le coup de tampon. Voyant que nous refusons, il nous dit qu’on aura le tampon gratuitement à 18h (il n’est que 15h).
Après l’incompréhension, Cosy se met à jouer le simple d’esprit : il regarde sa montre et dit « OK pour 18h », l’air dégoûté. Le douanier paraît surpris de cette réponse et demande donc pourquoi nous semblons contraints d’attendre au lieu de payer. On ne pense pas qu’il ait cru notre excuse de ne plus avoir d’argent en liquide sur nous mais en tout cas, il nous rend les passeports tamponnés. On exulte intérieurement !
L’immigration laotienne nous aura pris 2h de temps, finalement moins que ce que nous avions prévu, mais quelle satisfaction de ne pas avoir cédé à la corruption ! Nous nous éloignons de la frontière sans nous retourner, de peur que quelqu’un nous rattrape pour on-ne-sait quel motif. Même si notre journée galère est encore loin d’être terminée, c’est une grande victoire pour nous.
Nous voilà au Laos !
Pour connaître la suite de l’aventure, lisez notre article sur les 4 000 îles !
⇾ Ne payez rien pour sortir du territoire cambodgien
⇾ Ne faîtes pas la fausse visite médicale entre les 2 postes d’immigration
⇾ Ayez une photo d’identité pour le visa
⇾ Ne payez PAS PLUS de 30$. AUCUNE raison légale ne justifie le dépassement
⇾ Évitez les heures de pointe pour passer la frontière (allez-y avant la fin de matinée)